En 2011, sortie de l’ESSEC avec un MBA, et alors que la chaire Produits de Grande Consommation est sponsorisée par Danone et Carrefour, la voie qui attend l’étudiante est à l’évidence celle de la « grande distrib’ ». Elle va y exceller. « J’avais vingt-six ans lorsque m’a été proposé un poste de directrice d’hyper »…
S’en amuse-t-elle ? Elle attend quelques secondes. Sourit. Sereine. Vingt six ans ! Quand il en faut une quarantaine, et bien aguerrie, à sortir d’un sérail où se cultive le sens des hiérarchies, pour accéder à pareil sacre… Une fille, en plus !
Mais ces vingt-six-ans-là ne sont pas du genre à se poser mille questions : Coline, on la demande quelque part, c’est oui. « Sans hésiter », renchérit-elle avec calme, et l’on comprend alors que son bref silence auparavant n’était ni pour s’amuser de l’anecdote, ni pour s’étonner d’une si foudroyante promotion : elle a foncé parce qu’elle se sait ainsi. D’une solidité sans tapage. Qui se lit toutefois dans le maintien, dans le port de tête, dans le brun d’une mèche lui balayant aujourd’hui tout un côté du front, qui se lit jusque dans la courbe du sourcil laissé libre, le droit, on dirait celui-là qu’il aime à prendre un rien d’envol à la moindre question – mais ce peut être la façon dont les sourcils écoutent –, bref, à vingt-six ans, pour elle, c’est l’Hyper de Flins. Région parisienne. En chiffres, l’adresse donne ça : 12 500 m2, 410 personnes, 120 M€ de chiffre d’affaires. Et 26 d’âge, insistons. Tellement jeune que c’en est étourdissant ! De quoi en passer sous silence les premières armes de ce prodige au féminin, master tout frais en poche, chez Coca Cola Enterprises en 2009 et 2010 ; sous silence également son premier contact avec Carrefour, une année à cheval sur 2011 et 2012 à s’occuper de cross merchandising, concevoir des gondoles ou rénover le mobilier des caisses ; sous silence enfin une mission à Shanghaï – histoire avec Carrefour de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot –, huit mois en tant que chef de produits internationaux à assurer la veille concurrentielle, définir le cahier des charges des nouveaux produits, mettre au point le packaging… La fin de l’escapade asiatique intervient en avril 2013, et dans le même mois, c’est Flins… Les chiffres plus haut l’indiquaient : c’est du lourd. Du gros bras, de la tension, du conflit, de l’horaire extensible, du camion en panne. Ici, quand ça coince, quand l’engrenage rechigne, si ça n’est pas la même solitude que dans le moulin, c’en est une, et en grand. « Qu’on le veuille ou non, admet Coline Burland, un patron d’hyper, c’est un peu à l’image d’un élu. Il a un rôle social dans la zone où il exerce. D’abord parce que c’est à lui qu’est spontanément attribuée la responsabilité de nourrir la population environnante, ensuite parce qu’il est souvent un employeur local important. Cela amène les patrons d’hypers à endosser le costume d’un personnage qui peut les dépasser quelquefois, les dévier de leur personnalité réelle, ou à l’inverse la révéler. Moi, ce rôle, ce n’est pas mon truc, d’autant qu’on n’est pas vraiment patron dans un hyper : on est en poste de ; ce n’est pas votre boîte, on bosse pour une enseigne »… Mais va, ce rôle social, elle l’assume, et d’ailleurs parfois il s’avère salutaire. « Ce peut être une manière de se protéger soi-même, avoue-t-elle, de se caparaçonner pour la bonne marche d’une machine qui ne s’arrête jamais, où l’on parle aussi bien en tonnes qu’en menus détails ; une machine qui agrège d’innombrables métiers, boucher, poissonnier, traiteur, primeurs, boulanger, et beaucoup d’activités, les caisses, le rayonnage, l’animation, la sécurité… Éreintant ! Je me rappelle avoir été longtemps à ne dormir que quatre ou cinq heures, et alors tôt le matin : debout ! du lundi au samedi. »