Quand il a allumé la caméra, Yuri nous est apparu assis à l’arrière d’une voiture. Une première, durant ces mois d’interviews – et même une touche d’exotisme en ces temps confinés !
Mieux encore : « Je sors du périphérique de Milan, direction Rome », nous a-t-il annoncé.
Grand voyageur, Yuri est aussi un homme de contact. Que nous le trouvions dans sa voiture, finalement ça lui ressemble. Il provoque les rencontres et il en a fait un atout professionnel.
Chine, Italie, France
Yuri Narozniak, diplômé de Sciences Po, a tenu des postes à responsabilités chez GAN et Groupama, mais c’est aussi un lyrique, un affectif : « L’Italie est ma deuxième patrie, celle du cœur, explique-t-il. Nous y sommes très attachés, mon épouse et moi : elle est artiste-peintre, passionnée par les techniques anciennes. Nous avons vécu onze ans à Rome. »
La minute d’après, nous voici en Chine : « J’y ai travaillé près de dix ans également : six ans à Hong Kong et trois à Pékin. C’est là que j’ai découvert l’impact des économies d’échelle. J’exerçais déjà dans le secteur des assurances, et même plus largement dans celui la protection – qui inclut la prévention. Protéger les siens est quelque chose qui m’a toujours mû. »
On le comprend au bout de quelques minutes, Yuri est un charmeur. Mais avec sincérité : ce n’est pas un enjôleur. Ses manières douces et sa voix confiante font de lui un personnage qui accroche la lumière. Il se nourrit du contact des autres : « J’ai toujours été un homme de terrain. Quand je dirigeais une filiale de Groupama, ce qui m’intéressait c’était d’écouter les clients : pour comprendre pourquoi ils adhéraient ou pas à une proposition de valeur – pour comprendre la répulsion, aussi. »
Conversations nocturnes avec lui-même
Quand la crise est arrivée, Yuri venait juste de fonder son entreprise, Datafolio, avec deux associés (janvier 2020). Il s’est senti stimulé : « La gestion de crise m’a toujours intéressé. C’est un mécanisme passionnant. J’ai été très marqué par le livre de Hugues Le Bret, sur l’affaire Kerviel. Autre exemple : le 14 septembre 2008, quand Lehman Brothers a fait faillite, je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma famille : il se passe un truc de dingue, une catastrophe. »
Entre appétence au risque et désir de protection, Yuri compte sur ses rêves nocturnes pour se réveiller « complètement aligné ». « Le rêve est le lieu où je gère mes conflits intérieurs, où je dialogue avec mes instincts primaires. Loyauté contre infidélité. Sacré contre profane. Ce sont des choses qui peuplent mon univers. »
« On a assuré 700 000 yaks »
Avant de se lancer dans l’entreprenariat, Yuri arborait déjà la casquette d’intrapreneur : « J’ai commencé chez GAN, je faisais du marketing. Ensuite je suis passé au BizDev et j’ai eu la chance d’être envoyé en Chine, pour créer une filiale de zéro. On peut dire que c’était un continent à conquérir. On a assuré 700 000 yaks. Cette diversité des populations et des thématiques reste l’une des richesses de nos métiers. Vous allez identifier les besoins, pour construire un produit en face. »
Quelques années plus tard, passé chez Groupama, Yuri saisit l’opportunité d’aller diriger l’une des caisses régionales françaises, mais l’alchimie ne prend pas. Yuri est au Comex, mais il manque d’air : « A un moment, je me suis dit que mes idées se déploieraient mieux dans un autre cadre. Je voulais travailler sur l’exploitation des données en temps réel, en mobilité, pour proposer à chacun non plus une protection annuelle liée à son propre segment de clientèle ou à son historique de sinistres, mais bien à son comportement. Plus vous avez un comportement vertueux au volant, moins vous payez. »
« Quand vous êtes dirigeant, vous promettez l’horizontalité, mais au final c’est vous qui décidez. Quand vous êtes entrepreneur avec des associés, il n’y a pas de chef. »
Il y a 12 ans, Yuri avait déjà monté un système de génération de leads sur Internet, avec Arnaud, l’un de ses associés actuels. « Nous voulions identifier les particuliers capables d’investir dans les produits de gestion de patrimoine élevés – pour des centaines de milliers d’euros. Mais ce n’était pas encore en phase avec le marché. » Le troisième associé de DataFolio, Emmanuel, a un profil de mathématicien : « On s’est rencontrés en 2019 et on s’est tout de suite trouvés. C’est un excellent actuaire, il sait regarder au-delà des purs modèles mathématiques. »
Le patron d’une agence digitale à Roubaix et un business angel italien complètent le trio. « Les tensions font partie des relations entre associés, mais sont aussi très créatrices : on s’enrichit mutuellement, y compris en n’étant pas d’accord ! Moi qui ai pratiqué les deux métiers, je peux vous le dire : c’est la grande différence entre le dirigeant et l’entrepreneur : l’équilibre. Quand vous êtes dirigeant bien sûr vous promettez l’horizontalité, la participation, mais au final c’est vous qui décidez. Le mandat, c’est à vous que les actionnaires le confient. Quand vous êtes entrepreneur avec des associés, ce n’est pas du tout pareil. Il n’y a pas de chef et il faut composer avec ça. »