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Thomas, l'élémentaire


Thomas Ybert

Fin de soirée. La visio se lance, Thomas Ybert apparaît. Derrière lui, un tableau blanc couvert d’inscriptions cryptiques. Pas de doute possible, nous sommes bien face à un scientifique dans son contexte préféré : un laboratoire. “Je n’ai qu’une heure, j’ai un autre meeting juste après” s’empresse t-il d’annoncer. Le travail ne manque pas. Du moins, c’est ce qu’on imagine alors que DNA Script a annoncé la semaine dernière une levée de 130 millions d’euros. La startup française en biotechnologie co-fondée par Thomas Ybert, propose un produit unique au monde : Syntax, une imprimante à ADN de synthèse. Une question nous taraude. Comment décide t-on de dépasser les limites du possible ? Qu’éprouve t-on quand on touche le réel à son échelle moléculaire ?


L’excellence en toute simplicité


“Je suis un pur produit du système éducatif français”, lance Thomas Ybert avec beaucoup de simplicité. Issu d’une famille d’enseignants, inspiré par quelques cousins ingénieurs qui lui ont ouvert la voie, le fondateur de DNAScript semble avoir choisi l’excellence non par ambition, mais simplement parce qu’elle lui était accessible.

Venu d’un lycée de province, il intègre Polytechnique en 2002. “En arrivant, je ne comprenais absolument pas comment fonctionnait l’X. C’est-à-dire qu’il y a deux types de personnes dans ce genre de grande école : ceux qui connaissent déjà tout, qui savent exactement où ils naviguent et ont une très bonne vision de comment se servir de ces années. Et les autres, comme moi, qui ne connaissent rien. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre. C’était même déjà un peu trop tard lorsque j’ai réellement compris ce qu’impliquait le fait de faire Polytechnique.”


“Les professeurs faisaient un travail formidable.”

C’est l’énergie que ses professeurs de biologie mettent dans leurs enseignements, qui éveille son intérêt pour la discipline. Comme si sa passion jaillissait de la leur. “La biologie est moins bien considérée que les mathématiques et la physique théorique. Les professeurs de biologie redoublaient d’efforts pour attirer et séduire les étudiants. J’ai trouvé qu’ils faisaient un travail formidable.”


La chimie comme agent révélateur d’une vocation


Il commence alors à percevoir les possibilités qu’offrent la chimie et la biologie. C’est une véritable révélation. “J’adorais la chimie organique en prépa. Quand j’ai suivi les premiers cours de biologie à l’X, je me suis dit que ça allait encore au-delà. C’était encore un cran au-dessus. On allait bien au-delà de ce que peut faire un ordinateur. En informatique, un programme crée de l’information. En biologie, la programmation donne des choses tangibles. Ça donne des molécules, ça donne de l’alimentaire, ça donne des médicaments.” Agir puissamment sur le réel, sur ce qui le constitue profondément. Agir et avoir un impact à l’échelle moléculaire. C’est ainsi que la vision de Thomas Ybert semble prendre forme.


“J’aime faire des choses concrètes utilisées par les gens.”

Guidé par elle, il continue de suivre sa voie avec la même simplicité. Il rejoint AgroParisTech et fait son entrée dans le monde expérimental. Il commence à manipuler en laboratoire et touche notamment à la biologie de synthèse. Mais les aléas de la recherche ont raison de sa motivation : “la recherche qu’elle soit académique ou appliquée est très ingrate. Elle nécessite des efforts et une motivation extrême… pour finalement beaucoup d’échecs. Et puis, trouver une théorie ou répondre à une question, ce n’est pas quelque chose qui me motive. J’aime faire des choses concrètes, c’est-à-dire des produits et des applications qui vont pouvoir être utilisés par les gens.” Il lui faut un impact plus direct. Plus immédiat. Il commence donc à envisager d’autres voies… mais se fait rattraper in extremis par le directeur de son labo qui lui propose une thèse “très appliquée” qu’il réalise en dehors du monde académique, chez Sanofi.


S’extraire du monde de l’entreprise par l’entrepreneuriat


“Chez Sanofi, je reprogramme des micro-organismes pour faire des protéines qui vont avoir un intérêt thérapeutique et je m’aperçois que les protéines, même si ce sont des objets très complexes qu’on ne peut pas synthétiser avec des réactions chimiques, ne sont pas difficiles à réaliser d’un point de vue biotechnologique. Ce qui est beaucoup plus dur à faire, ce sont les petites molécules comme l’aspirine ou l’éthanol. Et donc, et là, je me dis, c’est ça qui m’intéresse. » Deuxième révélation.

On est alors en 2010, le baril de pétrole est à plus de 200 dollars et les biocarburants suscitent un véritable engouement. Thomas Ybert intègre Total pour travailler sur les énergies renouvelables. C’est son premier véritable emploi. Il part vivre à San Francisco pour rejoindre l’équipe du partenaire américain de Total : Amyris.


“Je n’étais pas assez mature professionnellement pour comprendre.”

Si ce nom n’évoque pas grand-chose au grand public français, Thomas Ybert lui, conserve un souvenir amer de l’expérience : “chez Total, là, j’arrive en plein dedans, c’est-à-dire que les gens avec qui je travaille sont des requins qui, pour la plupart, ne vont pas du tout dans le fond des choses et s’intéressent surtout à la façon de naviguer dans les strates de Total. Le résultat, c’est un désastre. 350 millions de dollars sont engloutis dans Amyris pour aucun résultat.”

L’action d’Amyris s’effondre entre 2011 et 2012 passant de 487 dollars à 46 dollars. L’échec est retentissant. Les meilleurs démissionnent, les autres sont licenciés. Pour Thomas Ybert l’expérience est en demi-teinte. Il ne peut que constater les fonctionnements de Total, de son système de management, l’absence de leadership. Mais c’est seulement plusieurs années après, qu’il réalise l’énorme gâchis qu’a représenté cette aventure. “Je n’étais pas mature professionnellement, il m’a fallu du temps pour comprendre.” Pour comprendre, mais surtout pour en tirer des conclusions. “Pour le coup, c’est là que mon ambition est née. Je me suis aperçu que je ne réussirai pas dans le monde de l’entreprise.” C’est la troisième révélation de Thomas Ybert. S’il veut un jour pouvoir avancer dans la bonne direction, sa propre direction, il va falloir qu’il se remonte les manches. Et c’est ce qu’il fait à partir de 2014.


Identifier un besoin concret et proposer un produit absolument unique au monde


Il commence par imaginer des outils qui pourraient simplifier la vie et le fonctionnement des chercheurs et des laboratoires. Il en parle autour de lui. Total fait la sourde oreille. Il en discute avec des collègues, Xavier Godron et Sylvain Gabriel. Finalement, ils conçoivent ensemble la première imprimante à ADN de synthèse. Un produit unique au monde qui vient résoudre un problème crucial : les laboratoires ont besoin d’ADN de synthèse pour mener leurs recherches. Actuellement, les chaînes d’approvisionnement sont lentes et compliquées. Avec Syntax, l’imprimante capable de fournir actuellement jusqu’à 96 fragments d’ADN en quelques heures, chaque laboratoire pourrait imprimer ses propres séquences.


“Fournir des outils pour avoir un impact véritable”

C’est finalement quand il parle de Syntax, que Thomas Ybert s’anime le plus, car finalement, la passion pour la biologie et la chimie ne l’ont jamais quittée. “C’est pour ça qu’on est là. Pour donner, pour apporter des outils. Exactement comme Intel qui fournit les processeurs de nos téléphones ou de nos ordinateurs. Sans Intel, on ne peut pas construire Facebook. Donc, il faut ces outils-là, et nous, on est là pour ça. Je pense vraiment que ça aura un impact sur notre santé, sur notre bien être, sur les choses qui nous entourent, sur notre capacité à créer un monde durable. C’est comme passer d’un monde de deux dimensions à un monde de trois dimensions.”

Les deux premières années, il avance “seul face à la paillasse”. En 2016, les recrutements commencent. Aujourd’hui, DNAScript emploie 130 personnes. Après Sanofi et Total, il prône désormais un management par l’exemple et très opérationnel. “Chez nous, il n’y a pas ceux qui font et ceux qui décident” comme en témoignent les nombreuses photographies de presse où on peut le voir en blouse blanche. Toujours face à la paillasse. Les mains dans le camboui ou plutôt dans les molécules de synthèse et les enzymes. Au plus proche du terrain et de son équipe. C’est la différence entre monter un business et mettre en place une vision.


Être le meilleur pour espérer pouvoir imposer ses valeurs


Et l’éthique dans tout cela ? Quand on parle de synthétiser l’ADN, la question se pose forcément. Thomas Ybert pose un regard pragmatique sur la situation. “Je considère qu’il faut être proactif sur les régulations, car in fine, ce sont toujours les industries qui régulent. Si on considère, par exemple, un domaine que je connais très bien pour l’avoir côtoyé chez Total : l’aéronautique. Aujourd’hui, toutes les régulations dans le domaine de l’aviation et notamment les régulations sur les carburants sont pilotées par la FAA, la Fédération américaine de l’aviation. On peut se demander pourquoi est-ce que ce sont les Américains qui décident de comment doit être le carburant des avions partout dans le monde  ? La réponse est simple, c’est parce qu’ils ont la plus grosse industrie aéronautique avec Boeing. C’est eux qui ont imposé leur standard. Donc, si tu n’as pas une industrie forte, c’est d’autres gens qui vont t’imposer leur standard.” Il ajoute : “C’est uniquement en ayant une industrie puissante qu’on pourra dire : je ne veux pas vendre mes outils à la Corée du Nord. Si on n’a pas de technologies puissantes, on n’est tout simplement pas en capacité d’imposer quoi que ce soit.”


“Il est nécessaire que chacun se responsabilise.”

Pour lui, l’éthique passe également par une responsabilisation des citoyens : “il ne peut pas y avoir à la fois une démocratie et une instance qui dit ce qui est bien ou mal. Il faut que les gens soient conscients de ce qui se passe. Par exemple, on ne peut pas avoir de médicaments performants sans faire d’une manière ou d’une autre, des expérimentations soit sur les animaux, soit sur l’homme. Mais ce qui n’existe pas, c’est des médicaments qui tombent du ciel et qui sont super. Je considère que je ne vis pas dans une société d’analphabètes, les gens sont intelligents et capables de comprendre.”

C’est peut-être le dernier challenge à relever pour Thomas Ybert : faire face aux champs des possibles que Syntax s’apprêtent à ouvrir.

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