Nous avons interviewé le co–fondateur d’un cabinet de conseil en accompagnement de levées de subventions publiques. En pleine crise économique, il s’inquiète moins pour sa propre trésorerie que pour celle de ses clients. Il met aussi en garde les chefs d’entreprise contre l’effet d’opportunisme lié aux dispositifs d’aide d’urgence. Il a préféré rester anonyme et, puisqu’il nous parle d’argent et d’assistance, nous avons choisi de le surnommer Robin des Bois… Un petit tour en forêt de Sherwood (en confinement, on rêve de clairières) ?
La crise met l’optimisme à l’épreuve
« Je vois autour de moi des dirigeants qui gardent la tête haute, qui essaient de rester optimistes. Pourtant un certain nombre de nos clients, particulièrement chez les start-uppers, ont du mal à payer nos factures. Les levées de fonds sont gelées. ». Le cabinet de conseil, qui ne se rémunère qu’au résultat, avançait déjà tous les frais. Notre interlocuteur prend donc en ce moment encore plus de risques qu’à l’ordinaire. Il ne dispose pas lui-même d’une « trésorerie mirobolante », mais reste étonnamment calme. En cela, il est dans son rôle : il a toujours interprété son métier « comme un accompagnement de la croissance dans la durée, plutôt que comme un rendez-vous pour remplir un dossier, et basta ».
Le conflit de l’éthique et du business model
Une posture qui correspond à sa nature analytique, attentive et prévenante. Dans le même esprit, notre « Robin des Bois » se refuse à profiter de la détresse actuelle de certaines entreprises pour les aider à décrocher les aides d’urgence en se rémunérant au passage. « Ces aides (prêt Garanti par l’Etat, prêt Rebond, prêt Atout, dispositifs régionaux…) sont faites pour être activées facilement, par l’intermédiaire de leur banquier habituel. C’est peut-être idiot de ma part, car beaucoup d’entrepreneurs les laissent passer quand même, mais cela me pose un problème moral de me positionner sur ce créneau. Il est hors de question que je perçoive un pourcentage de ces aides, qui à mon sens doivent aller intégralement à l’entreprise. »
Entre autres causes du non-recours aux aides : la fierté des dirigeants
Le consultant sait d’expérience que beaucoup de dirigeants ne sont pas à l’aise avec le fait de demander un appui financier, qu’il s’agisse d’une subvention ou d’une aide exceptionnelle. « La problématique du non-recours aux aides sociales est bien connue et plutôt bien couverte. C’est moins le cas pour le non-recours aux aides entrepreneuriales. Les déterminants sont pourtant les mêmes : la peur de se trouver plongé dans un imbroglio de documents à fournir, l’impression de devoir rendre des comptes, l’orgueil bien sûr et le découragement (« C’est trop compliqué »)… » Il ne faut pas sous-estimer la fierté des chefs d’entreprise, qui rechignent à admettre officiellement que leur société se trouve fragilisée. Et il ne faut pas sous-estimer non plus, comme le souligne notre interlocuteur, cette autre barrière à l’entrée que constitue la dématérialisation des démarches. « La fracture numérique ne concerne pas que les publics les plus pauvres… Loin s’en faut ! »
Un effet domino sur les demandes de subventions
Bien sûr, tout n’est pas rose. Le consultant sait aussi qu’à l’inverse, certains vont tenter de profiter du système, de percevoir indûment les aides d’urgence. Des entreprises qui se trouvaient déjà au bord du gouffre en janvier, avant la crise, vont tenter de s’en sortir en imputant leur fragilité au Covid-19. Et au-delà de l’épisode actuel, un effet domino sur les demandes de subventions est à prévoir en sortie de crise : des patrons qui n’avaient jamais rien demandé jusqu’alors, auront pris le pli avec les aides d’urgence et vont s’intéresser aux autres dispositifs existants, allant sans doute jusqu’à saturer certains guichets.
Cash is King
La crise Covid-19 est pour chaque client du cabinet – et pour le cabinet lui-même – une occasion de remettre en cause son offre et d’interroger son marché. « La trésorerie, c’est notre sujet à tous. Cash Is King. Il faut une gestion saine pour se laisser la “chance“ de voir les crises arriver. Même si ça peut paraître indécent à ceux qui vont perdre leur emploi, je veux dire aussi que dans cette tourmente il peut être bon de remettre en cause nos certitudes. Chez nous, par exemple : jusqu’alors on était plutôt bon sur la prospection en direct via Linkedin. Nos clients ont le téléphone qui sonne tout le temps et c’était destructeur de valeur pour nous d’arriver entre deux calls de prospection. Nous misions donc sur le digital, mais désormais avec les habitudes prises en confinement, nous serons beaucoup plus nombreux sur ces canaux-là. Il faut nous réinventer, faire la démonstration des futurs possibles. »
Vers un assainissement du marché des start-up ?
L’épisode actuel aura-t-il pour autre effet positif d’assainir le marché des start-up ? Certains VC le pensent. « Ils estiment que cette crise va remettre un peu d’ordre. La plupart étaient là en 2008 ou commençaient leur carrière, les vétérans ont vu l’éclatement de la bulle Internet, 2008, etc. Been there, survived that. Dans une situation où le torrent de liquidités à faible prix que les banques centrales ont mis à disposition des économies a nourri une sorte de bulle qui a fait que les valorisations de certaines boîtes sont parfois devenues délirantes au cours des huit dernières années, la plupart des fonds étaient préparés, au moins en partie. Tous anticipaient une potentielle crevée de la bulle à horizon 2022-2025. Ce qui était inattendu, c’était le fait que ce soit un virus venu d’une province de Chine et pas les tensions géopolitiques ou des annonces hasardeuses de la BCE qui lancent ce qui devrait être une crise hallucinante aux dires de tous. »
« J’ai l’impression que les fonds ont essayé de se préparer à des décotes brutales de leur portefeuille. Je ne sais pas si ces pare-feux seront efficaces mais de ce que j’entends, ils n’ont pas l’intention d’agir dans la précipitation. Tous sont un peu en mode « Wait and See », gèrent les plus grosses urgences et continuent à alimenter leur dealflow. Ils ne signeront pas forcément autant d’accords d’investissements qu’il y a un an mais ils continueront, pour nourrir la machine et pour faire vivre l’argent. Les négociations seront sans doute plus dures, les valorisations revues à la baisse et les clauses toujours plus contraignantes dans les contrats, mais les beaux projets restent des beaux projets. »
Ses 7 règles en temps de crise
Faire vraiment attention aux dépenses et essayer d’être compréhensifs mais fermes pour le recouvrement de ses factures.
Rester humbles parce que demain c’est loin et qu’il ne faut présumer de rien.
Tout faire pour démontrer la résilience de son business model et la pertinence de ses intuitions.
Se faire confiance, rester optimiste (ce n’est que monter une boîte, pas une opération à cœur ouvert) et aller au bout de ses idées.
Rester ouverts à la nouveauté et aux opportunités, essayer, mesurer, recommencer, itérer…
Eviter de se faire des ennemis inutilement.
Corollaire du précédent, identifier aujourd’hui qui sont ses vrais amis/soutiens/partenaires et pourraient l’être une fois cette crise passée (identification, sourcing, prise de contact…).
Portrait rédigé avec ♡ par Florence Boulenger.