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Anne-Charlotte, le Rebond


Anne–Charlotte Hartmann

Elle venait de lancer un projet–pilote dans une école maternelle, au moment précis où les écoles ont fermé. Après un moment de complet désarroi, Anne–Charlotte Hartmann, fondatrice du Studio Abi, a repris les choses en main et s’attache désormais à transformer le plomb en or.


« Nous sommes précipités dans le temps présent »

« Vous m’auriez dit il y a une semaine que j’allais devoir garder mes enfants, je crois que je me serais mise à pleurer », plaisante Anne-Charlotte. « Quand on est entrepreneure, on a un planning à dérouler, des objectifs à tenir, comme les sportifs, avec des étapes à valider… On accepte mal que notre temps soit bouleversé. C’est pourtant ce qui se passe avec la crise actuelle : nous sommes tous précipités dans le temps présent, sans aucune visibilité sur la suite. J’avais bâti un projet calé sur l’année scolaire, et brutalement il n’y a plus de calendrier. Il ne reste qu’aujourd’hui. »


Clairement, à l’annonce du confinement, la jeune femme a accusé le coup. Une demi-heure assise par terre, sans bouger, à se déclarer « paumée ». Et puis, très vite, sa nature combative a repris le dessus. « Je me suis dit d’abord qu’à défaut de scolaires, mes enfants seraient mes “cobayes”. Mon conjoint, aussi, m’a encouragée, il m’a rappelée que je gérais depuis sept ans ma première entreprise – je suis consultante en stratégie & communication de marque pour les maisons de savoir-faire, dans le luxe et les institutions culturelles. »


S’adapter à la situation


Anne-Charlotte commence depuis à s’inscrire dans un « temps nouveau ». « Je me suis dit que peut-être, j’allais pouvoir conserver mon pilote et le transformer à distance, avec la maîtresse et les élèves. » L’institutrice a validé le concept. Et quand on y pense, il est vrai que cette période où les enfants sont confinés avec des parents déboussolés, voire débordés, se prête plutôt bien au lancement d’initiatives à destination des plus jeunes. Les plus optimistes diraient que le marché captif est très étendu.


Une opportunité pour la pédagogie par le vêtement


Au Studio Abi, Anne-Charlotte travaille sur une pédagogie « par et pour le vêtement », autrement dit elle encourage les enfants de 3 à 6 ans dans la construction de leur personnalité et l’exploration du monde au travers des tissus, par le jeu du déguisement.


Un exemple : « On apprend aux enfants à s’habiller et à se déshabiller en autonomie. Le vêtement est leur premier habitat, mais on ne leur apprend pas que le coton est une plante. Ni que la mode reste l’une des industries les plus polluantes du monde. Comme le souligne Lidewij Edelkoort (projet Anti-Fashion), quand un tee-shirt coûte moins cher qu’un sandwich, il y a un problème, non ? En ce mois de mars, bien que tous confinés, nous avons lancé un défi autour de la construction de cabanes avec des vêtements, puis la confection de déguisements qui permettent de dépasser les stéréotypes de genre. L’idée est de créer une dynamique, un lien entre l’avant et l’après. Ce que les enfants auront pu faire à la maison s’inscrira dans une histoire globale. » Echange de photos, de dessins, commentaires heureux des parents, participations des frères et sœurs aînés : « Le projet consistant à développer l’imagination, l’imaginaire, et à favoriser la créativité, si nous parvenons à le réaliser en milieu fermé, le pilote sera un succès. »


Le projet se révèle déjà être un vecteur privilégié pour donner du sens aux activités (sortir de l’occupationnel), créer une dynamique de classe, malgré la distance, créer des repères et casser la routine.


L’entrepreneure s’inspire de la force créatrice des enfants


Anne-Charlotte s’occupe des enfants, mais elle s’en inspire aussi en retour : elle en tire même des enseignements en tant qu’entrepreneure. « Ils ont cette capacité à faire les choses sans tenir compte du regard des autres ni porter de jugement, que nous oublions en grandissant. Pour un entrepreneur, l’imagination est fondamentale. Or, il est difficile de faire preuve d’inventivité, d’innover sans s’auto-censurer. Et puis il est rare que nous nous autorisions les activités pour lesquelles nous pensons ne pas être suffisamment qualifiés, alors que les enfants foncent sans se poser ce genre de questions. »


« J’aimerais transformer ces interrogations en quelque chose de positif »

Anne-Charlotte n’a pas de salariés, ce qui lui procure une relative sérénité. « Si j’avais des salariés à gérer, ce serait une source d’angoisse assez forte ; je me suis toujours demandée si j’étais faire pour créer quelque chose qui me dépasse et à ce stade je n’ai pas encore la réponse. La crise me donne une meilleure connaissance de moi, de ce que je pourrais gérer ou pas. J’aimerais transformer ces interrogations en quelque chose de positif. C’est curieux, car cette crise intervient pile au moment où je m’autorisais six mois d’expérimentations pour le Studio Abi, ayant réalisé trois bonnes années en tant que consultante. Je cherchais à stopper l’accélération un peu folle du monde qui m’entoure et là… on peut dire que je suis servie. »


Remettre en question les injonctions de performance


Le Studio Abi a trouvé un second souffle. Pour autant, Anne-Charlotte n’essaie pas de faire croire que la vie continue normalement. « Nous vivons tous une situation exceptionnelle. A quoi bon vouloir à tout prix maintenir les rythmes, les horaires, les activités d’avant ? D’abord, on n’est pas obligé d’être énergique. On a le droit de simplement vouloir ne rien faire. On n’est pas obligé de travailler comme avant, et en parallèle de dénicher les meilleures recettes de cuisine ou les meilleures séries. Ces injonctions de performance sont absurdes, y compris dans les moments les plus anodins. Alors que discuter, partager, ressentir que le sol s’écarte sous nos pieds, ça fait paradoxalement du bien et nous n’avons pas d’autre choix. »


Portrait réalisé en Mars 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger

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