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Alix, la pianiste


Alix de Sagazan


Cela n’a pas échappé aux acteurs de la Tech : au mois de mai dernier, en plein confinement, Alix de Sagazan, 37 ans, co-fondatrice d’AB Tasty, a levé 40 millions de dollars. Le quatrième et le plus important des tours de table bouclés par la pépite française en l’espace de dix ans. AB Tasty coche toutes les cases de la start-up à succès : offre scalable, croissance fulgurante et développement international.


Deux moniteurs de colo devenus associés


Quel profil se cache derrière ce coup de maître ? En réalité, il y a deux visages plutôt qu’un : celui d’Alix et celui de Rémi Aubert, son associé. On s’en aperçoit très vite, puisqu’en interrogeant Alix, on entend beaucoup parler de Rémi ! Cette volonté de travailler en duo – puis de monter une équipe (230 collaborateurs) pour en tirer le meilleur parti, comme on enfonce une à une les touches d’un piano, est un trait de caractère dominant chez la jeune femme. Une partition déroulée avec grâce.

« Quand on s’est rencontrés, Rémi et moi, on était moniteurs de colo. Ensuite, on s’est retrouvés embauchés dans la même agence – on faisait de l’acquisition de trafic. On se sentait tous les deux une âme d’entrepreneurs, d’aventuriers… et on était agacés de voir que nos campagnes ne transformaient pas à cause de sites web mal conçus. »


L’idée d’un outil de test simple et efficace


Comment améliorer la situation ? Peu à peu, l’idée d’un outil de test simple et efficace, à destination des e-marketeurs va s’imposer aux deux futurs associés. Mais avant cela, Alix et Rémi, qui ont monté leur propre entreprise, passent par la case « conseil ». Comme souvent, la simplicité naîtra dans la douleur et la confusion.« On a vécu deux ans d’excitation et d’enfer avant de faire émerger notre solution. On avait 26 ans, j’avais un pitch pourri et zéro carnet d’adresses, je tremblais en appelant les prospects. On acceptait toutes les missions, on a fait beaucoup de SEO et c’était épuisant parce qu’on on faisait tout : on vendait, et ensuite on produisait. »

Le duo s’aperçoit qu’il lui faut changer de modèle, stopper les missions sur mesure et créer un outil pertinent pour l’ensemble de ses clients. A l’époque, l’AB testing est perçu à la fois comme complexe et séduisant – la perspective d’un outil « facile à utiliser », avec un tableau de bord lisible par le client, représente une belle opportunité. Alix et Rémi sortent leur MVP, qui convainc rapidement Photobox, puis Bouygues Telecom.

« Je partais en rendez-vous et Rémi modifiait nos prix en direct, raconte Alix. On a signé les premiers abonnements et recruté deux salariés. Ensuite, on a vu que nos concurrents américains, avec le même type de produit, levaient des millions. On a réussi notre première levée en 2014, deux ans après la sortie du MVP. Un million d’euros, à l’époque c’était beaucoup. Nous avons engagé 30 personnes de plus. »

Et les dates défilent, vertigineuses : 2015, développement de la clientèle française. 2016, série A (5 millions) et ouverture de trois pays européens. 2016, Rémi part conquérir les Etats-Unis. 2017, nouvelle levée (17 millions), l’équipe passe à 120 salariés. 2018, Alix s’installe à New York. 2020 : série C, la barre des 200 collaborateurs est franchie, avec des bureaux à Paris, Madrid, Berlin, Cologne, Londres, New York, San Francisco, Singapour. AB Tasty compte 900 clients.

« Quand je nous revois dans un petit appartement avenue de Saint-Ouen, à préparer les rendez-vous avec les investisseurs – avec un business plan auquel moi-même je ne croyais pas – cela me fait sourire. A partir de 2016, j’ai commencé à me dire que “ Ah tiens, oui, on allait bel et bien conquérir le monde“. J’ai accepté l’idée d’être devenue leader sur le marché européen et d’aller prendre des parts aux Etats-Unis et en Asie. »

Alix accueille cet emballement avec calme. Elle ne se montre ni déstabilisée, ni angoissée par l’hyper-croissance. « Je reste prudente, tout simplement. Nos concurrents outre-Atlantique ont levé 250 millions et les ont mal gérés, ils ont fini par se faire racheter. Nous, on nous a souvent dit qu’on faisait un beau chiffre par rapport à ce qu’on avait levé. L’argent, ça part vite. C’est toujours bien d’imaginer qu’on n’en a pas : ça rend créatif. La seule chose que j’ai mal vécue, c’est le recrutement réalisé à toute vitesse, le fait d’ajouter des couches de management – là, pour moi, c’était très difficile. »


Maintenir le contact avant tout


Alix a besoin de maintenir le contact – de garder la main sur le clavier. « J’ai besoin des autres, dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle. Le confinement a été une vraie épreuve. Et cette levée de fonds en parallèle, dans un contexte flottant, m’a semblé particulièrement dure. Les levées de fonds, ça prend tout ton temps et toute ton énergie, mais il faut continuer à piloter la boîte. J’ai appris qu’il fallait être très transparent avec les équipes, alors on explique toutes nos décisions. Et on a 4 personnes aux RH – uniquement dédiées à l’expérience collaborateurs. Quand j’étais étudiante, j’ai créé plusieurs associations. J’ai toujours eu besoin de rassembler les autres autour d’un projet commun. » Alix a recruté son ancien maître de stage – du temps de l’école de commerce : il travaille désormais au marketing. « Les gens qui croient en toi, ça te donne de la force. Investisseurs, salariés, associé… moi, je tire mon énergie des autres. »


« J’aime créer des emplois, communiquer »

Aujourd’hui Alix se sent « à sa place ». « J’aime créer des emplois, communiquer – et le fait que les gens se sentent heureux, c’est vraiment ce qui me motive. Je suis très bien entourée. Je peux me reposer sur Rémi dès que j’ai des doutes. On a les mêmes valeurs, avec des caractères très complémentaires. Et de l’autre côté j’ai mon mari, qui m’a suivie à New York avec les enfants : c’est un pilier dans ma vie. »


Compter sur un cercle stable pour surmonter les épreuves


Un cercle stable, qui permet de gérer les montagnes russes de l’entreprenariat : « Je passe vite du syndrome de l’imposteur (« Je suis nulle, mais c’est pas possible d’être aussi nulle, qu’est-ce que je fais là ? ») à l’excès de confiance (« Je suis géniale ») qui accompagne les succès commerciaux. En réalité et comme toute entreprise, AB Tasty subit la courbe d’apprentissage des fondateurs : parfois, c’est toi la limite de ta boîte. »

Alix et Rémi continuent de repousser cette limite, notamment en certifiant un écosystème d’agences partenaires : « Elles sont labellisées “AB Tasty“ et elles vendent pour nous – c’est une façon d’agrandir notre territoire. De mailler notre réseau… en mobilisant encore plus de monde. »


Portrait réalisé en Novembre 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger

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