Elle a un grand sourire heureux, une jupe qui froufroute et des boucles qui volent partout. Et nous, on ne commence jamais un portrait par une description physique… Mais une fois n’est pas coutume, parce que la première impression que produit Clarisse BERREBI, co-fondatrice de Bold, sera confirmée par tout ce qu’elle pourra dire par la suite. En un mot, elle est : virevoltante. C’est aussi une joueuse, qui aime surprendre et se laisser surprendre. Clarisse raconte une vie remplie de métamorphoses. « J’aurai 45ans dans deux jours, alors j’ai quand même pas mal de choses à vous dire. » Et il y a, en effet, beaucoup à apprendre en l’espace d’une heure trente passée en sa compagnie.
Pour entrer chez Bold – un cabinet d’avocats « all inclusive» (experts-comptables compris), conçu pour accompagner les start-up françaises –, il faut pousser une porte de garage, ambiance Brooklyn. C’est volontaire, bien sûr : un clin d’œil ironique au mythe de l’entrepreneur qui débute dans son garage. Et un premier indice sur la personnalité de Clarisse, une avocate assez loin de l’image d’Épinal associée de sa profession.
Une vocation précoce
Pourtant, à la question «Qui es-tu? », Clarisse répond immédiatement : « Je suis avocate. » Elle précise même la date de son serment : 7 février 2000.
«L’imaginaire populaire est tellement fort autour de la figure de l’avocat(e). Ce n’est pas connoté business, même si à Paris les avocats d’affaires font clairement du business. On est “maître”, on porte une charge d’auxiliaire de justice, on est un artisan du droit. J’ai d’abord été cette avocate-là. Je traitais mes clients de façon très personnalisée. On venait me chercher pour ça. »
Dès l’âge de 7ans, Clarisse, qui évoque avec bonheur la «grande fratrie, très solidaire» dont elle est issue, se voit surnommée « l’avocate » par ses deux frères et ses cinq sœurs. « Je défendais les uns et les autres. Je ne me suis jamais demandé ce que j’allais faire après le Bac, je me suis inscrite directement en fac de droit. »
Chef d’entreprise, un basculement
Et pourtant… aujourd’hui, Clarisse souligne qu’elle n’exerce plus son métier : « Je ne suis plus avocate, je suis clairement devenue cheffe d’entreprise. Mais j’ai encore des difficultés à le dire. » Des difficultés, mais de la fierté aussi : «J’ai exercé la profession dans toutes ses acceptions possibles. J’ai été associée trois fois. Et puis en 2017, j’étais avec Serge [Vatine] et on a voulu créer quelque chose de différent. »
Ce «quelque chose» s’appelle Bold et emploie aujourd’hui 80 personnes. Clarisse a créé une marque et un modèle spécifique d’abonnement, à l’opposé du sur-mesure. «C’est voulu, c’est fait pour : c’est ce dont nos clients ont besoin. »
En 2008, Clarisse avait adhéré à un syndicat d’avocats et s’interrogeait déjà : ses confrères réalisaient-ils combien les nouvelles technologies allaient modifier le métier ? «Avant, on était des sachants, comme les médecins. Désormais, notre profession continue à former des experts, alors que l’expertise ne fait plus la différence, elle nous limite, même. Notre métier, ce n’est plus de connaître le droit. Nos clients lisent en anglais, se renseignent sur Internet, ils connaissent mieux leur dossier que nous. Ils ne nous choisissent pas parce que nous sommes des sachants. »
Les avocats aussi, ça se disrupte
Clarisse raconte qu’elle a beaucoup réfléchi, écrit et débattu du sujet, sans agir… jusqu’au moment où elle a lancé Bold. Une façon de «disrupter » son propre métier, finalement – pour utiliser un terme cher à l’écosystème de la Tech.
«Tôt ou tard, je pense que ça deviendra la norme. Ce sera la fin des cabinets d’associés où celui qui fait entrer le plus gros chiffre d’affaires a le pouvoir, d’où on t’éjecte quand tu es enceinte, et où on assiste à une guerre des egos sans fin. Chez Bold, on ne demande pas aux associés de générer du chiffre : la marque est là pour ça. »
L’avocate est devenue CEO, mais avec le même fil rouge : défendre. «Pour créer Bold, on s’est fait aiguillonner par nos prospects entrepreneurs. J’ai réalisé combien le monde évolue, comment on peut faire bouger les lignes. Moi, je suis très confortable dans le mouvement et le changement. J’ai besoin d’être mobile. J’ai divorcé deux fois. J’ai du mal à évoluer dans les situations de calme, de paix. Les conflits, c’est ma zone de confort, depuis l’enfance, j’ai connu ça. Je n’aime pas ça… mais c’est bel et bien ma zone de confort. »
Je suis toujours en train de prouver quelque chose.
En cela, Clarisse rejoint sa clientèle :
«Un entrepreneur évolue dans un monde incertain. Tu n’es pas entrepreneur si tu n’aimes pas le risque. On l’a bien perçu avec le Covid, parfois, tu ne vois pas à 8 jours. »
L’avocate devenue entrepreneuse connaît bien son moteur : la performance individuelle. «Certains carburent à la notoriété, à l’argent ou à la vie sociale. Moi j’ai besoin de faire toujours mieux, et quand je suis arrivée au bout, j’ai besoin de faire autre chose. C’est très fatigant. Je veux être meilleure par rapport à moi-même – pas par rapport aux autres. Je ne peux pas m’empêcher d’apprendre. Je passe mon brevet de pilote d’avion, j’ai besoin de beaucoup de nourriture intellectuelle. J’ai besoin de performer pour moi. Je suis toujours en train de prouver quelque chose. »
Nul doute en tout cas que Clarisse – qui est aussi la mère de trois enfants – dispose de ce talent rare : tordre et dompter le temps.