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Frédéric, fait de bois dur


Frédéric Sebag

On peut l’oublier, quand il s’agit d’une entreprise de près de 4 000 salariés, mais pour Frédéric Sebag, Open est resté son « bébé », qu’il faut protéger et continuer de faire grandir. Entrepreneur dans l’âme, le co-président de l’ESN déploie toute son énergie pour éteindre l’incendie, protéger ses troupes et, bien au-delà de ça, revoir l’offre de demain en fonction d’un marché qui aura forcément changé en sortie de crise.

Il a été touché de plusieurs façons : par le Covid-19, d’abord, « tout simplement ». Le diagnostic est tombé le 15 mars, la veille du confinement. Affaibli pendant 12 jours, Frédéric n’a pas pu travailler comme à l’accoutumée. Mais quand nous l’avons interrogé, en troisième semaine, il semblait en pleine forme. Combatif, même.


Diriger un paquebot de presque 4000 personnes dans la tempête


Aux commandes d’un paquebot, le fondateur d’Open s’est soucié d’abord des mesures sanitaires. « Dès le lundi 16 mars, on a organisé un Comex extraordinaire en visioconférence et on a enclenché toute une série de consignes. J’étais très inquiet de vérifier que tous nos collaborateurs joueraient le jeu. C’est difficile de se projeter quand on n’a pas été malade, quand la situation semble irréelle. J’ai fait en sorte que les managers engagent un dialogue approfondi avec leurs équipes, car dans ce genre de situation on ne peut pas gérer les collaborateurs par populations ni par messages collectifs. »


S’organiser par étapes


La première semaine fut donc une semaine de réaction, après le choc. Il fallait vérifier que tous les responsables de sites disposaient de l’ensemble des outils et matériels nécessaires.


Deuxième priorité : l’organisation du télétravail. « Je voulais éviter la double peine, c’est-à-dire l’incapacité de travailler. »


Troisième objectif, poursuivi en parallèle : l’analyse approfondie de chaque situation client. « Personne ne peut sortir indemne de cette situation et certains de nos clients, qui travaillent dans des secteurs dévastés du jour au lendemain (transports, événementiel…) se retrouvent dans des situations de crispation très forte.


Nous avons passé en revue l’ensemble des projets en cours et notamment les impératifs de plan de continuité d’activité ».


Un devoir : protéger les actifs et la trésorerie


« Open, comme chaque entreprise, doit préserver deux choses, reprend Frédéric. Son actif (savoir-faire, méthodes, outils, portefeuille clients…) et sa trésorerie, qui si elle venait à faire défaut serait une cause de mort subite. Nous avons rapidement évalué l’ensemble des leviers à disposition pour préserver l’avenir de la société. »


Un état d’esprit « collectif » chez les collaborateurs


« Je perçois chez nos collaborateurs un état d’esprit collectif, plus marqué encore que d’habitude. Dans une entreprise de notre taille, ce n’est pas si courant. On a besoin d’un pays fort et aussi d’une entreprise forte, qui se bat. L’entreprise est porteuse de notre avenir individuel, et cela se ressent. Nous avons dû déclencher des mesures de chômage partiel, mais nous avons annoncé immédiatement que jusqu’au 30 avril nous protégerions les salariés d’une perte de salaire, de façon à ne pas ajouter de l’anxiété à court terme. Nous les avons invités à prendre leurs congés, nous les avons prévenus que la date du 31 août ne pourrait pas être repoussée. L’objectif est clair : éviter les licenciements. Surtout pas de décisions précipitées. Nous ne voulons pas nous couper un bras : nous préservons tout le corps de l’entreprise. J’espère ne pas avoir à regretter par la suite cette stratégie de préservation. On navigue tous à vue. »


« Nous ne pourrons pas reprendre comme avant »

Au moment de l’interview, le 2 avril, 20% de l’effectif productif d’Open était en inactivité. Frédéric, son associé et son Comex se projetaient déjà dans l’après. « 20% c’est déjà très pénalisant en termes de chiffre d’affaires, est-ce que cela va s’aggraver et pour combien de temps ? Nous nous posons tous les mêmes questions. Et quelles que soient les modalités du déconfinement, total ou partiel, aucune entreprise, petite ou grande, ne pourra redémarrer sans restructuration forte. Personne ne pourra reprendre ses chantiers avec les mêmes priorités qu’hier : certains auront changé de nature, d’autres seront apparus. Or, pour cette restructuration et pour cette conquête du business, il n’y a pas de calendrier. Nul ne connaît la profondeur et la réalité de ce deuxième temps, même s’il est désormais estimé à un minimum de 12 à 18 mois. »


« Le circuit court, le local, va reprendre du poids »

Frédéric liste un certain nombre de points positifs : de grandes avancées sur le télétravail, notamment. « Il est certain qu’on ne travaillera plus jamais de la même manière. Qui, en février, aurait pu imaginer qu’en moins d’une semaine la moitié des travailleurs actifs seraient passés en télétravail et qu’une économie pourrait tourner, même dans son train minimum, grâce aux outils numériques ? »


Le canal digital sortira nettement renforcé de la crise Covid-19, il aura fait la preuve de son caractère indispensable. « C’est plutôt rassurant pour une activité comme la nôtre… »


Autre enseignement : le circuit court, le local, va reprendre du poids. « Que fait-on, concrètement, pour améliorer la qualité et la productivité du circuit court ? Je vois une réponse simple : moins d’offshore. »


L’âme de l’entrepreneur en mode pompier


La période d’incertitudes actuelles rappelle-t-elle à Frédéric ses débuts d’entrepreneurs, réveille-t-elle sa créativité ? Clairement, oui. « Je me sens toujours entrepreneur. J’ai davantage de moyens qu’au départ, mais j’ai aussi davantage de zones à protéger, c’est donc à mettre en balance.


Aujourd’hui, le Covid-19 incarne l’adversité. Je vois avec fierté que mon entreprise encaisse le choc, que les équipes réagissent très bien. C’était vraiment difficile pour moi, durant les deux premières semaines, de voir brûler les arbres de la forêt. Vous perdez du chiffre, vous voyez s’effondrer quelque chose que vous avez construit et vous savez pertinemment que même en y mettant les moyens, vous perdrez du terrain. Le feu ne va pas s’arrêter tout de suite. Et après, il faudra encore deux ou trois ans pour la repousse. Alors, j’oriente ma créativité vers les opérations de sauvetage, ce qui me bride, naturellement. Mais l’envie est toujours là. »


« La confiance sera la clé de la sortie de crise ! »

Frédéric conclut la discussion par les opportunités que nous ouvre la crise actuelle.

« La confiance sera l’élément-clef. Si le client n’a pas confiance en vous, il ne peut pas consommer vos services. Si le salarié n’a pas confiance, il ne reste pas. Et les managers eux aussi ont besoin d’avoir confiance en eux. Je travaille beaucoup sur ce point. Je m’inspire de mon cercle rapproché tant professionnel – le ComEx de l’entreprise que familial : ma femme qui est psychologue et de mes enfants qui ont entre 27 et 32 ans, j’ai besoin de sentir les aspirations de cette génération-là. La mienne a raté le virage écologique, elle a démontré son incapacité à agir collectivement sur des sujets aussi importants. Nous étions très protégés, très insouciants. Les jeunes me semblent plus altruistes et ils m’inspirent…. de la confiance ! Tant qu’à payer un lourd tribut dans cette crise, autant que ce soit pour construire un monde meilleur, plus collectif. »


Portrait réalisé en Avril 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger.


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