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Nicolas, le besoin d'aller au-delà


Nicolas Morschl

Ça lui a trotté dans la tête pendant longtemps, il s’y est un jour décidé : Nicolas Morschl a créé Bonsoirs après dix ans de direction marketing chez PhotoBox. Depuis, grâce à un site Internet spécialisé dans le linge de lit haut de gamme, mais à prix apaisé, c’est à un large public qu’il souhaite le bonsoir pour des heures et des rêves délicieux, justifiant à eux seuls de mettre le mot au pluriel.


« Une idée presque par hasard, dit-il. À l’époque, je déménageais… » Tantôt la voix fuse, claire, sonore, tantôt elle s’estompe, on dirait que les mots lui trébuchent à la barbe rase, et il rigole, parle en même temps qu’il rigole, « pourquoi je vous raconte ça ? » Reprenons.


2017. Dix ans passés chez PhotoBox, et un besoin profond de changement. Changer de job, changer de statut, changer d’appart’, changer de déco, rien là que du banal, sinon que c’est à vouloir changer de literie que le hasard s’est réveillé… Au départ, pourtant, Nicolas s’y est pris comme tout le monde pour aménager : vivre bien, se détendre, manger agréablement, dormir tranquille, bref, faire gaffe à tout un tas de détails, en particulier gaffe au nouveau sommier, gaffe au nouveau matelas, gaffe à la nouvelle couette et gaffe aux oreillers – un peu moins gaffe au prix, tant pis –, il enchaîne : « Le linge de lit, c’est un achat auquel on ne réfléchit pas vraiment, en réalité. Un achat par défaut, de dernière minute. C’est presque pareil que couvrir un meuble dans une maison, pas de souci, mais c’est alors qu’on se retrouve devant cette alternative : soit des draps basiques, certes à prix basiques, soit des draps haut de gamme, et alors… »


« Tout de suite régler le problème »

Nicolas Morschl ne termine pas la phrase. Ou plutôt, dans la spontanéité qu’il paraît avoir conservée de ses années potaches, il prolonge : « En plus, là, c’était tout de suite. J’aurais voulu choisir tout de suite. No parking, no magasin, tout de suite régler le problème ! » Envie et impatience… Il ne sait pas laquelle des deux fut la plus dominante de ce cocktail très-goût-d’époque, n’importe, que la marque Bonsoirs. ne fût pas encore déposée, elle pointait. Ensuite, tout s’accélère : le concept est formalisé entre l’été et l’automne. Ce sera un site Internet de linge de lit, des tissus nobles, une fabrication soignée, un design sobre, élégant, jeune, ni féminin ni masculin, unisexe – cœur de cible : 30-45 ans –, et surtout arriver à ça : un prix abordable.


Des chiffres et une promesse


« Pendant mes recherches, si j’avais en effet vérifié que le marché se répartissait en deux grands segments, l’usuel et le haut de gamme, j’avais aussi découvert quelques enseignes d’un positionnement original, à l’image de Brooklinen, une start-up fondée à New York en 2014, et qui échappait précisément à la classification traditionnelle. Cela n’a fait que me conforter dans mon idée. »


« Partout, des échantillons de tissus »

Dès lors, c’était parti pour Nicolas Morschl, et d’abord au sens premier : parti de PhotoBox, où il occupait depuis 2007 les fonctions de marketing manager pour l’Allemagne, puis d’international marketing manager pour le développement de la marque dans 11 pays d’Europe, ainsi qu’au Canada et en Australie, dix ans ainsi passés au siège de Sartrouville dans une entreprise plusieurs fois élue « site photo préféré des Français ». Pas si simple de tirer un trait, mais nous sommes en juillet 2017 et au fameux été du fameux changement. Question nouveau linge de lit, le nouvel appartement se transforme en… « blanchisserie ». C’est son mot, à Nicolas. « Des échantillons de tissus, il y en avait partout. Une pièce entière. Et des heures entières aussi à les toucher, les sentir, les respirer ». Lui qui ne connaît rien au textile, il découvre. « Un beau tissu, c’est d’une telle élégance, d’une telle simplicité, le coton, le lin… » Et apprend !… Percale de coton : minimum 78 fils/cm2. Alors, c’est l’évidence : ce sera du 120 fils pour ses draps à lui, ceux qu’il proposera bientôt sur Internet. Et du 200 fils pour le modèle satin ; du 160 gr/m2 pour « son » lin de Normandie… Les chiffres, il a toujours aimé ça, depuis minot, mais ceux-là sont à ses yeux synonymes de douceur, de fraîcheur, de légèreté, il se met à les adorer, et c’est très logiquement qu’ils déclinent aujourd’hui le catalogue de bonsoirs.com : housses de couette, draps housse, draps plats, taies d’oreillers, pour grands lits, pour lits d’enfants, à l’unité ou non, il en a rêvé, il l’a fait, et au bout, promesse tenue pour Nicolas Morschl : à partir de 135 euros la parure 140×200.


« Des heures à choisir une couleur »

Du coup, puisqu’il n’est pas encore impoli de savourer une promesse tenue, Nicolas Morschl en savoure une autre, toute personnelle celle-là, qui avait précédé, et que cent fois et une il s’était répétée : « Comme un dingue ! » Il résume ça d’un souffle, avant de s’expliquer d’un autre : « Au début, je faisais tout. » Mais quand il dit tout, on comprend que ce fut tout ! Jusqu’à faire lui-même les envois aux clients, le carton, l’étiquette, l’adresse, le petit mot qui fidélise pour accompagner la commande. Cette fois, il s’explique vraiment : « J’avais pris soin de sélectionner mes fournisseurs, mes futurs partenaires, de m’assurer pour chacun des produits d’une fabrication de qualité, et voilà que sans m’en apercevoir j’étais embarqué dans une sorte de spirale. Par exemple, je passais des heures à choisir la couleur du prochain drap qu’il y aurait à mettre en ligne, du bleu, mais quelle nuance de bleu ? à rayures, mais l’épaisseur de la rayure ? des heures ! » Comme si l’existence de l’entreprise était en jeu à chaque instant, que tout le projet dépendait de chaque geste, qu’une décision un peu de travers menaçait de flanquer tout à plat. L’impression que Nicolas Morschl garde de cette période, c’est d’emblée celle d’une solitude, mais d’une solitude créative, effervescente, quoiqu’il la dise un rien stéréotypée, genre type la nuit le jour dans son hangar à inventer, imaginer, créer, tout esseulé, qu’à cela ne tienne, pense-t-il, le rêve vaut bien de payer de sa personne ! Car il en est lucide à présent : « Je crois que j’ai eu besoin à ce moment-là de me faire mal ; qu’il me fallait en passer par là pour monter une boîte, me retrouver dans le dur, obligatoirement… Savoir faire un paquet !… Pas d’e-commerce sans paquet, et pas de paquet sans celle ou celui qui le confectionne, qui physiquement le remplit, le ferme, l’envoie… Il me fallait savoir faire un paquet ! »


Ensuite ?… Eh bien, la suite, c’est ce à quoi un jeune et enthousiaste entrepreneur s’en remet parfois, qu’on désigne par facteur chance… Qu’aux premières lignes de cet article le lecteur fût épargné d’une plaisanterie facile sur les beaux draps, anticipons un regain de mansuétude pour lui en imposer une autre, tout aussi facile : puisqu’au temps du paquet succède inexorablement le temps du facteur, Nicolas Morschl se rappelle avoir vécu cette implacable chronologie comme une vraie chance. « Une rencontre inattendue ». Notez ici, lecteurs, qu’à aucune seconde n’est prononcé le mot hasard – un facteur de hasard n’évoquant rien, pas plus d’ailleurs qu’une factrice chance –, c’est par conséquent cette rencontre inattendue que Nicolas Morschl reçoit un beau jour dudit facteur, reprenons…


Quand une idée ne suffit pas


Un inconnu, Marc Menasé, vient de monter Founders Future. Sur Facebook, passe une pub de Bonsoirs. Et sur Facebook, l’inconnu voit la pub. Rendez-vous. Ça matche. « Non seulement, dit Nicolas Morschl, Marc décide de mettre un peu de sous dans mon affaire, mais il fait davantage : il m’accompagne dans mon activité, me conseille, c’est lui qui me fait comprendre à quel point une idée ne suffit pas, qu’il faut la structurer. »


Adieu paquets, étiquettes, petits mots, l’encore débutant chef d’entreprise engage comme assistante l’assistante qu’il avait dans son job d’avant et – impensable ! – constitue une équipe. Le vocabulaire mue : organisation interne, logistique, RP, marketing, développement produits… Le concours de Founders Future va au-delà d’une meilleure assise financière pour la start-up, il solidifie tout, à commencer par les esprits, et pour le manager la tête se relève du guidon. Nicolas Morschl le décrit très bien : c’est à ce moment qu’il sent en lui s’éloigner l’obsession de la dépendance… « Dépendance de l’entrepreneur au prestataire qui coince, dépendance du solitaire pieds et poings liés à une logistique qui foire, à une prod qui plante. » Merci facteur !


« Donner un sens à son activité professionnelle »

Le cheveu légèrement effarouché, Nicolas Morschl mesure maintenant le chemin parcouru, et même s’il en reste à faire, savoure. Chose étrange : ce n’est pas cette fois l’impatience qui fait un cocktail avec l’envie, c’est le partage. Ou si l’on veut, l’envie de partager. Nicolas Morschl confesse la sensation qu’il a d’être privilégié, non qu’il s’assure d’avoir réussi, mais avoir réalisé un truc, oui, un démarrage, et éprouve « le besoin de rendre, de donner un sens à une activité professionnelle. » C’est d’ailleurs spontanément qu’il se remémore sa scolarité en Allemagne, cette année de service civil effectuée au sein d’un hôtipal. « Rendre… Et singulièrement pendant cette foutue pandémie, trouver la bonne correspondance, par exemple avec une association. Moi qui adore les pourcentages, les courbes, les stats, inscrire ma boîte, c’est-à-dire toute l’équipe, dans une aventure humaine. Non seulement continuer au quotidien d’engager bonsoirs.com dans un processus durable, par exemple en recyclant les vieux draps et en envoyant les neufs dans un packaging réutilisable, mais aller plus loin ; s’impliquer dans des réalités difficiles, tels le mal-logment ou les sans-abris, en restant évidemment à sa place, en modeste appui à ceux qui font un boulot remarquable, dans l’ombre, mais n’est-ce pas justement la dimension qu’il faut pour les boîtes modernes, une responsabilité plus grande qu’elles, sociétale ? Jamais je n’en ai autant ressenti la nécessité. »


Comme si le bien dormir n’empêchait pas d’ouvrir les yeux.

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