A moins de 35 ans, Pierre Poullain, co–fondateur de Valeur Tech, semble avoir déjà vécu plusieurs vies. Et pourtant il a fallu une demi–heure d’interview pour que ce passé affleure. Humble, plus porté à s’intéresser aux autres qu’à répondre aux questions qu’on lui pose, le jeune homme tire de ses expériences précédentes une forme de sagesse qui le protège de la crise actuelle.
Rapatrié d’Ukraine et confiné
Il était en Ukraine quand il a pris la mesure de la crise à venir : plus aucun vol pour la France. « Mais l’Ukraine est un pays en guerre avec la Russie et la population en a vu d’autres. Il y a là-bas une espèce de résilience, très forte. »
Lui-même ne s’est guère affolé. Après avoir envisagé un détour par la Roumanie pour rencontrer d’autres partenaires, Pierre a finalement choisi d’être rapatrié pour regagner la France, où débutait le confinement.
Un mot d’ordre : relativiser
« Relativiser » : avec Pierre, le verbe prend tout son sens. Le start-upper a autrefois travaillé à l’ambassade de l’Union européenne en Isräel- un premier environnement conflictuel. Mais aussi pour l’ONU, dans le cadre d’un programme portant sur les territoires touchés par l’explosion de Tchernobyl. Ainsi qu’en Afrique (Bénin et Togo) sur des programme sde lutte contre la malnutrition maternelle et infantile. Et pour la FAO, au cabinet du Président du Conseil.
Il ne se laisse pas facilement atteindre, ni déstabiliser, par la crise actuelle. Au contraire, il en voit les possibles retombées positives et se projette dans l’après. « La pandémie nous offre une occasion tangible de changer le monde. Pour la première fois, les consommateurs prennent conscience de l’impact de leurs modes de consommation. Après avoir longtemps demandé aux agriculteurs de produire beaucoup et à bas coûts, on se rend compte de ce que le “green”, le bio, signifient vraiment. J’espère que cette crise aura au moins le bénéfice de remettre les pendules à l’heure, de reconnecter les réalités agricoles à la demande des citoyens. J’ai l’impression que l’espèce de stress alimentaire qui pousse certains à constituer des stocks improbables de nourriture, tient de ça aussi. »
Démocratiser la donnée pour les agriculteurs
Quand il parle d’agriculture, Pierre joue à domicile. Il y a deux ans et demi, il a créé Valeur Tech avec une spécialisation très claire : le monde agricole. Objectif : introduire du numérique – du Big Data en particulier – dans la gestion des exploitations, en France, en Ukraine, en Espagne et au Maroc. Parmi les projets de Valeur Tech figurent la digitalisation de la filière CRC – Culture raisonnée contrôlée (https://www.filiere-crc.com/) ou le conseil à une entreprise de tomates en Ukraine, avec le soutien de la BERD (https://www.inagro.ua/).
Comment digitaliser l’univers agricole, qui par définition reste profondément « terrain » ? C’est tout le défi des deux associés, qui ont développé en parallèle leur propre outil de Data Management. Alors bien sûr, depuis trois semaines, le Covid-19 se charge de digitaliser le monde à marche forcée. Le confinement fournit aux consultants et formateurs le meilleur argument qui soit : la preuve par l’exemple. Travailler à distance, c’est possible ! L’agriculteur lui-même a besoin de rester connecté à son assureur, son banquier, son certificateur… tout son écosystème de partenaires, en somme. « Cette crise nous est plutôt favorable, confirme Pierre. De mon point de vue, c’est presque une opportunité. En plus, en termes d’organisation interne, c’est sans problème. Nous étions déjà structurés horizontalement, avec des compétences free-lances dans trois pays, tous en remote : des UX designers, des développeurs, des architectes et des spécialistes de la sémantique agricole. La situation actuelle ne modifie pas nos habitudes de travail, si ce n’est qu’elle nous évite de longs voyages pour aller rencontrer nos prospects. »
Quelques programmes en cours au Maroc ont été stoppées, une mission de conseil prévue fin avril en France a été repoussée, mais pour l’instant la « casse » reste limitée. « Nous étions très agiles, nous le restons et nos clients sont en train de le devenir », conclut Pierre, résolument optimiste.
Portrait réalisé en Mars 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger.