Il commence par une plaisanterie, très pince-sans-rire. Yoann Grumberg, dirigeant d’ESV Digital France, est drôle. Il est aussi – simultanément – sociable, tourmenté et souriant. Il accroche la lumière, comme on le dit de certains acteurs. Et de fait, il monte sur scène en permanence : Yoann est un commercial-né, habitué à jouer avec son public. L’ancien directeur commercial d’ESV est devenu le patron, il y a deux ans. Comment tient-il ce nouveau rôle ? Pour faire le portrait de Yoann, nous avons choisi de braquer les projecteurs sur son rapport aux autres : il tire son énergie de ses équipes. Il a formé autour de lui une garde rapprochée. Il écoute ses collaborateurs et s’attache à les « rendre heureux ». En écho, il a besoin de leur soutien.
Un costume sur mesure
C’est pendant le premier confinement que Yoann a définitivement enfilé le costume du CEO. « Comment on manage une boîte quand du jour au lendemain, tout le monde rentre chez soi ? Mon premier sujet a été le bien-être des collaborateurs. J’ai passé des journées entières en visio pour expliquer où on allait. C’est là que je me suis senti devenir leur boss – ça a été un déclic. »
Patron de ses anciens collègues
Pas si simple d’être le patron de ses anciens collègues. Quand l’opportunité s’est présentée, Yoann l’a saisie, mais il lui a fallu un peu de temps pour habiter la fonction. « En février 2013, j’avais été chassé par ESV France. Cinq ans plus tard je m’apprêtais à quitter l’entreprise, quand on m’a retenu par la peau du cou : on m’a demandé de devenir CEO. J’avais à la fois envie qu’on me le propose… et très peur que ça arrive. » La négociation, amicale et sérieuse, dure une semaine. Yoann demande deux choses : des parts de l’agence, mais aussi un effacement progressif des deux fondateurs – auxquels il reste profondément attaché et qu’il consulte régulièrement.
Des nuits plus courtes
L’affaire est conclue et les nuits de Yoann raccourcissent. « D’un coup, les salariés ont pris leurs distances et je l’ai mal vécu. J’ai besoin des autres. Quand quelqu’un démissionne, c’est horrible, même si c’est pour aller rejoindre une ONG. A l’inverse, plus je vois les salariés grandir chez nous, plus ça me rend heureux. A cinquante personnes, on se connaît tous par nos prénoms. »
Une transformation amorcée
Yoann n’a pas voulu rester dans la continuité. « Au contraire, j’ai amorcé une transformation profonde de l’entreprise : après 15 ans de succès, elle avait commencé à marquer le pas. J’ai fait pivoter notre offre, pour que l’on devienne à la fois une agence de performance et une agence de notoriété. Pour cela, je me suis entouré de collaborateurs-clefs. » Yoann attache beaucoup d’importance à la loyauté, dont il déplore qu’elle soit « trop rare ». « Trois collaborateurs qui étaient partis chez des concurrents ou annonceurs sont revenus. Les salaires ne font pas tout. La vision de l’entreprise et la cohésion d’équipe nous rapprochent au quotidien. »
Un parcours différent
Ce dirigeant-là n’a pas peur de se retrousser les manches. Autodidacte, il a commencé à travailler à 16 ans. Contrairement à ce qu’on observe d’habitude dans la Tech, il n’a pas de diplôme d’ingénieur. Il n’a pas fait d’école de commerce, non plus. Sinon celle du terrain ! « Je n’ai jamais passé le Bac. Et si un entrepreneur se nourrit de ses névroses, pour moi c’est une bonne nouvelle : j’en ai plus que la moyenne ! Dans ma boîte, personne ne connaît mon parcours. Mais depuis peu, j’ai envie de montrer que je viens de loin et que c’est possible. L’écosystème du digital reste hyper élitiste. J’aimerais encourager la mixité.»
« J’ai observé – et j’ai appris »
Lorsqu’il quitte le lycée, Yoann trouve un job dans un magasin de Hi-Fi, rue Monge. « Le premier jour, le responsable, un colosse, m’a dit » Tu te mets là, tu ne bouges pas et tu écoutes”. Pendant deux semaines, il ne m’a plus adressé la parole. Mais j’ai observé – et j’ai appris. J’ai vu comment il vendait exactement ce qu’il avait décidé de vendre. » Yoann devient l’un des meilleurs commerciaux de l’enseigne. Quelques années plus tard, c’est l’arrivée d’Internet : « On m’a proposé une formation, j’ai choisi les campagnes Adwords, j’avais 20 ans. J’ai vu le potentiel et j’ai gardé ça en tête. » Jusqu’à 22 ans, il enchaîne les jobs. Puis se lance dans l’entrepreneuriat. « J’avais une idée : monter une structure immobilière avec une équipe d’avocats. Mais j’étais jeune, je ne savais pas faire un business plan. L’avocat à qui j’ai proposé d’être mon associé a gardé l’idée pour lui et a créé l’entreprise seul. »
La rencontre qui change tout
Yoann fait à ce moment-là une rencontre décisive qui l’a aidé à structurer son ambition, et lui a appris les codes. A cette époque, il s’intéresse aux agences digitales, mais il bute sur l’absence de diplômes. « On me demandait un diplôme – encore et toujours ! Alors j’ai fini par y aller au culot, j’ai passé un entretien où nous étions 6 candidats autour de la table. Et j’ai eu le poste. »
Une consécration
Au fil des années, Yoann va tester plusieurs agences. Progressivement, il passe ainsi de la vente de solutions logicielles à la stratégie digitale. « En partant des outils, je me suis mis à faire du conseil. En réalité, quand on écoute ses clients, c’est une évolution naturelle. Cela explique à la fois mes ambitions pour ESV et ma façon de diriger : je consulte beaucoup les collaborateurs au contact des clients. Ils sont les mieux placés pour savoir ce que le marché attend. Ils ont des antennes. Je veux faire d’ESV une agence rentable, bien sûr, mais aussi une entreprise qui va s’inscrire dans la durée – pas une boîte qui sera vendue dans trois ans au plus offrant ! »
En prenant (plusieurs) cafés avec Yoann – c’était avant le 2e confinement – nous avons senti affleurer une grande sensibilité. Nous refermons ce portrait en souhaitant qu’il sonne aux oreilles de Yoann comme un nouvel écho – fidèle, chaleureux, apaisant.
Portrait réalisé en Septembre 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger