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Stéphane, fil d'or

Stéphane Nomis

Il s’absente quelques secondes et revient avec une tasse qui a été brisée puis soigneusement restaurée selon la méthode japonaise du kintsugi : les morceaux de céramiques sont recollés avec un mélange de poudre d’or. Au lieu d’essayer de cacher les fêlures, on les met en valeur.

« Et la tasse est encore plus belle qu’avant », résume Stéphane Nomis, fondateur du groupe Ippon Technologies, qui se retrouve dans ce revirement poétique. « Je crois que mon coeur s’est brisé quand j’étais enfant et depuis je répare ». Judoka membre de l’équipe de France, entrepreneur à succès, on peut dire en effet que Stéphane « répare », avec un certain panache. Portrait d’un solitaire – bien entouré – qui a appris à enfoncer les portes.


Les ressorts d’un parcours atypique


Il a grandi en HLM, sa mère était femme de ménage. Mais ça, c’est une source de fierté. La blessure originelle n’est pas là. Elle restera secrète – réduite au silence en quelques mots : « Je n’ai pas envie d’en parler ».


Après tout, il nous suffit bien de savoir que Stéphane a conscience de cette volonté de « réparer l’irréparable » pour entrevoir les ressorts d’un parcours atypique.


Le judo d’abord, où il est arrivé « par hasard ». « Ma mère m’a inscrit au judo, je n’ai pas choisi. Mais j’ai été pris de passion. C’est une vraie chance, la passion ! J’aimerais que mes trois enfants connaissent ce choc-là. »


Trajectoire d’un champion


Stéphane devient judoka international. Un champion. Membre des équipes de France de 1990 à 1999.

Il entame ensuite une seconde carrière, se tournant vers l’informatique, vers Internet. « Parce qu’à l’époque, c’était ça qui marchait, qui décollait », résume-t-il avec simplicité.

Il suit une formation Microsoft de 8 semaines pour devenir administrateur systèmes réseaux et il rejoint une start-up, sans autre diplôme.

Il a envie, à ce moment-là, d’aller prospecter le CEA de Saclay : tout simplement parce que c’est là où sa mère fait le ménage. « Mes employeurs m’ont dit : « N’importe quoi, c’est un prospect trop gros pour nous ». Mais j’ai insisté. La commerciale, Bac+5, gagnait beaucoup plus que moi. J’installais des ordinateurs et des imprimantes, mais j’étais sûr de pouvoir faire comme elle. »


Son atout : la finesse des relations humaines


Alors : joueur ? Confiant ? Aiguillonné par les défis ? Un peu de tout ça à la fois. Mauvais perdant assumé, il jette sa meilleure carte, celle des relations humaines. Ça, il sait y faire : il sait parler aux autres. Il demande à sa mère de le présenter à la femme de ménage du service Informatique. Qui elle-même le présentera à un stagiaire, puis deux. Et ainsi de suite. De fil en aiguille, Stéphane finit… dans le bureau du DSI. A qui il vendra 10 ans d’intégration de Java. Pas mal, non ? « Mieux vaut entrer par le bas. On est toujours mieux perçu. »


Tiré vers le haut par une petite voix intérieure


Cette méthode-là, cette constitution patiente d’un réseau, ce maillage minutieux d’un territoire, il va l’appliquer dans tous les domaines.

En créant Ippon en 2002. Puis en ouvrant d’autres pays, la Russie, l’Australie, le Maroc, les Etats-Unis. « Le plus dur, ça a été New-York. Là, j’ai dû m’y reprendre à deux fois. J’ai entendu ma petite voix, exigeante, tyrannique même, qui me disait « Mais tu es nul. Tu t’y prends mal. » »


Il faut savoir que lorsqu’il entreprend de conquérir New York, Stéphane reprend tout de zéro, il s’installe à l’hôtel et il y va en mode cold calling, un coup de fil après l’autre, à la dure. « Après, j’ai compris que ça ne marchait pas comme ça, qu’il fallait une vraie adresse, par exemple, sinon les Américains nous considèrent comme étant simplement de passage. »


En Russie, même ambition : il se lance là-bas après une rupture sentimentale et apprend la langue sur le tas.


La loi du tatami – sans cesse de nouveaux combats


En ce moment et de ce côté-ci de l’Atlantique, Stéphane s’est porté candidat à la présidence de la Fédération française de judo, face à Jean-Luc Rougé qui tient le poste depuis 15 ans.


Alors dans son bureau, qui surplombe l’Arc de Triomphe – « Ma mère en est très fière » -, il a affiché une grande carte de France sur laquelle il indique, un pion après l’autre, les départements qu’il a visités et qui lui sont désormais acquis. Une approche directement inspirée des manœuvres de Frank Underwood dans « House of Cards », comme il le reconnaît avec un grand sourire.


Faire tomber le costume – conséquence du confinement


La crise actuelle ne l’effraie pas. Pour un sportif, c’est un obstacle à franchir, pas un coup d’arrêt. « Pendant le confinement, je suis venu tous les jours dans les bureaux vides. Et j’y ai fait tomber mon costume d’avant. Plus besoin de ce jeu de rôle. On a fait +27% de croissance en deux mois, sur de l’acquisition pure. Le premier jour, j’ai dit aux équipes : il faut se battre, c’est comme les vacances, tout le monde pense qu’il n’y a rien à faire mais c’est toujours là que j’ai fait mes meilleures affaires, les gens sont disponibles. »


Les gens, toujours. « Pendant cet épisode, j’ai gagné confiance en moi. » Depuis, il a proposé ses services en tant que coach. Une offre déjà accepté par la BPI. « Je n’ai pas une mauvaise vie, conclut Stéphane avec une sincérité désarmante. Je vis de belles choses. »


Portrait réalisé en Juillet 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger.

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